Le trou de mémoire

Titre : Le trou de mémoire
Fonds : Service de coordination culturelle de la mairie de Port de Bouc
Déposant : Mr Alain Glasberg
Réalisation :
Alain et Jimmy Glasberg
Production :Arimage
Format : 16 mm, couleur, sonore
Date :1981
Durée : 14 min 25 sec
Genre : docu-fiction
Notice n° : 649-001

Résumé

Le 4 septembre 1981, Jack Lang, ministre de la culture, boycotte le festival du film américain de Deauville et se rend à Port de Bouc. C'est l'occasion pour les réalisateurs de revenir sur la mémoire d'une ville traumatisée par la disparition des chantiers et de faire parler les ruines. Entre scènes de fiction et interviews des habitants de Port de Bouc, Le trou de mémoire aborde les conséquences d'une fin d'activité industrielle pour la ville.

Transcription

« Vers 1900, création d'un chantier naval attirant des ouvriers des quatre coins du monde

1966, fermeture du chantier après importantes luttes ouvrières.

4 septembre 1981, Jack Lang ministre de la culture boycotte le festival du film américain de Deauville et se rend à Port de Bouc à la rencontre d'une ville décidée d'oublier son amnésie. »Performance : le désert éclaté, de Paul Fructus.

« Qu'est-ce que vous faites plantés là tous comme des tacades ? Alors tout ce qu'on a fait ensemble, c'était pour en arriver là ?

Vous voulez vous laisser déboulonner comme les machines ? Vous avez envie d'y aller vous, à la Ciotat ? Alors après 5o ans, on fait comme nos grands-parents, on reprend leurs valises et on se remet sur les routes ? Qu'est-ce qu'il vous restera entre les mains après ?

Et nos enfants ? Les enfants, une fois que ce bateau, la mer l'aura avalé, qu'est-ce qu'il leur restera ? Rien, il ne leur restera rien ! »

Scènes de a vie quotidiennes : Joutes dans le Port, jeu de boules, musique andalouse, pêche, belote au bistrot ...

Regard caméra d'un ancien : « allez, à la vôtre hein ! »

Suivant un ouvrier des chantiers, la caméra retourne sur les ruines des ateliers.

L'ouvrier, combinaison blanche et casque rouge (Paul Fructus) installe un moniteur et regarde à l'écran :

« On s'est pas assez battu, on a tout perdu ! Ici là le matin, c'était un flot humain qui descendait, mille ouvriers ! À 11h et demie, c'était mille ouvriers qui sortaient ! On a perdu les chantiers, on a tout perdu ! Port de Bouc, c'est devenu une ville cimetière ! Avant, à 18h le soir, c'était un défilé de jeunesse là ! C'est là que je flirtais moi ! C'est là que je rencontrais les garçons, les filles, qu'on avait un contact ! Maintenant, où on a du contact ? Un petit peu dans mon bar, où il y a quatre Port de Boucains ... » (Toni Philippoussis)

L'ouvrier erre dans les ateliers, son moniteur à la main. Sur l'écran, les anciens défilent et s'expriment, leur voix emplit le silence :

« Alors chaque fois que je me présentais dans les entreprises, j'étais de Port de Bouc, j'étais un refoulé de la société. Pourquoi ? Parce que j'étais de Port de Bouc et on avait foutu la panique dans la France. La fermeture du chantier, on en a fait parler pendant des années et des années. Alors comme on avait été la première ville de France à voter non pour monsieur de Gaulle, à 99% si je me rappelle bien, on a fermé le chantier pour ça. »

« On parle tous l'espagnol, le piémontais ... le grec j'ai eu du mal à l'apprendre hein, c'est difficile ! Mais Port de Bouc, c'était le creuset de toutes ces nationalités, en définitive. »

C'est le dernier bateau qui vient de naitre,
Il glisse lentement sur son puissant berceau
Et le vieux charpentier regarde disparaître
L'hélice toute dorée dans le fond des eaux
C'est le dernier bateau qui quitte ce rivage
Le vieil ouvrier a une larme au fond du cœur
Car il sait déjà qu'il va être mis au chômage
Après toute une existence d'honnête labeur
Sur une insulte il ira à la retraite
Comme un incapable comme un pauvre indigent
Il suivra l'infamante queue de ceux que l'on jette,
Il ira pointer comme s'il était un fainéant.
Il méritait mieux pourtant comme récompense
Le dernier bateau sur l'eau calme et bleue s'en va
Le vieux travailleur repousse une mèche blanche
Et sa lèvre tremble des mots qu'elle ne dit pas.
(Soupir, regard caméra)

Le moniteur saute, l'écran se brouille, les témoignages et les scènes de vie se chevauchent.
L'ouvrier marche dans les éclats de verre des vitres brisées, les chantiers résonnent d'un bruit strident.
Le bruit de la forge, le feu, les coups de masse du sculpteur (Raymond Morales, ancien ouvrier) assourdissent.
L'ouvrier l'interpelle : "Toi aussi, tu y étais aux chantiers !"

Analyse

Les premières « images »

L'ouverture du film est originale. Le cinéaste aborde le constat de la situation à Port de Bouc par le biais visuel d'un rapport tapé au téléscripteur. S'ensuit un plan symbolique d'un cimetière et un focus sur la tombe d'un ouvrier. Les Chantiers sont morts aussi, mais la mémoire est vive...

Un monologue théâtral

Le texte de Paul Fructus prend à parti tous les ouvriers. Son « Monologue pour une statue et un Chantier mort », issu de la pièce le Désert Éclaté, est le point de départ du film. La succession de questions rhétoriques les met face à l'évidence : il ne reste plus rien.

Glasberg met alors en scène le comédien Paul Fructus en habit de chantier déclamant son texte devant la foule rassemblée sur le quai autour de Jack Lang, alors ministre de la culture. Ce personnage devient le fil conducteur de l'histoire, offrant aux spectateurs l'image du réel et le support de l'imaginaire.

Une fiction mémorielle

Cet ouvrier au casque rouge fait basculer le documentaire du côté de la fiction et de l'expérience cinématographique. Par le biais du moniteur, le cinéma relaie la parole des ouvriers, celle la même transmise dans un autre film de Glasberg : Le mémoire de la Porte de Bois. Ce moniteur se fait la voix des ruines, l'écho de la parole des ouvriers et retrace l'histoire des chantiers.

La séquence de la forge et les plans sur les œuvres de Morales sont un hommage au savoir-faire des ouvriers qui n'est pas perdu, mais s'exprime autrement, à travers l'art.

Ce film est le regard d'une équipe de cinéastes sur une réalité aussi mouvante et aussi immuable que peut l'être une mémoire ouvrière, laquelle s'affranchit de son passé pour transformer le présent.

Contexte

Les Cahiers de l'Inédit, revue port-de-boucaine, recensant durant l'année 1980 les initiatives culturelles développées dans la ville, témoigne de cet intérêt mémoriel :

« le lieu : la caméra plonge, tel un scalpel dans le pouding sociologique et ethnographique d'une région qui en 50 ans est passée, avec Fos sur Mer, d'une économie précaire à l'aire de la technologie avancée. Dans une ville où les traditions des ethnies mélangées cohabitent avec les blousons de vinyle, les baskets et le disco des héritiers de l'immigration »

« Le décor : il y a moins d'un an, les dernières carcasses des portiques du chantier naval tombaient dans les gerbes d'étincelles des chalumeaux. Le lieu mort mais réel allait faire place à l'imaginaire. Un trou de 25 hectares face à la mer en plein centre ville, encore caché par la façade des bureaux et des ateliers vides où le vent de la mer s'engouffre et fait claquer les portes aux vitres cassées, les craquements des pas résonnent sur les planches de bois répondant aux sirènes des tankers du golf de Fos. (...) autant de supports à la construction imaginative mais aussi au renvoi du réel. »

Rebonds

Filmographie de Paul Fructus: http://www.cinemotions.com/Paul-Fructus-nm44086

Article: "Port de Bouc d'hier et d'aujourd'hui : une ville à renaître": http://terrain.revues.org/2802

Télécharger en PDF: La lettre électronique de MIP Provence, n°5 avril 2004 (la fin des chantiers à Port de Bouc et le contexte des années 60)

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